Par une décision rendue le 6 novembre 2020, le Conseil d’Etat se prononce sur la compétence des juridictions administratives pour statuer sur le recours d’un constructeur contre le sous-traitant d’un autre constructeur. Une analyse de Romain Bruillard, avocat associé – cabinet PHPG.
Dans un arrêt en date du 6 novembre 2020, le Conseil d’Etat a retenu que le recours d’un constructeur à l’encontre du sous-traitant d’un autre constructeur relevait des juridictions administratives (n°428457).
Absurdité de la solution
Le Conseil d’Etat considère que « le litige né de l’exécution d’un marché de travaux publics et opposant des participants à l’exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé ». Cette règle n’est pas nouvelle (CE, 2 août 2011, n° 330982) et permet donc de retenir la compétence des juridictions administratives pour statuer sur le recours d’un constructeur contre le sous-traitant d’un autre constructeur.
Cette règle n’en est pas moins absurde puisque dans le même temps l’action du constructeur contre son propre sous-traitant relèvera des juridictions judiciaires puisqu’ils sont liés par un contrat de droit privé. Ainsi, devant un juge administratif, un constructeur ne peut formuler des demandes qu’à l’encontre des sous-traitants des autres parties et non contre ses propres sous-traitants. De même, le sous-traitant dont la responsabilité est recherchée ne peut, en réplique, appeler en garantie son donneur d’ordre avec lequel il est lié par un contrat de droit privé.
Eclatement du contentieux
En matière de travaux publics, en plus des solutions dégagées pour les sous-traitants, il a déjà été jugé que l’action du maître d’ouvrage ou des constructeurs à l’encontre des assureurs et des fournisseurs relève des juridictions judiciaires. En revanche, l’action contre l’assureur TRC ou DO et contre les fabricants d’EPERS relève des juridictions administratives.
Il y a donc un morcellement ubuesque du contentieux entre les juridictions judiciaires et administratives alors qu’il irait pourtant de l’intérêt d’une bonne justice que les difficultés nées d’un même chantier et donnant souvent lieu à une expertise judiciaire unique soient soumises à un seul ordre de juridiction. Un tel morcellement conduit à des procès fleuves et est susceptible d’être source de contrariétés entre les décisions rendues dans la mesure où les deux ordres de juridictions n’ont pas la même appréciation du droit de la construction (abattement pour vétusté, reconnaissance des dommages intermédiaires…).
Unification possible
Si le juge administratif se refuse d’examiner certaines actions, c’est parce qu’elles sont fondées sur un contrat de droit privé ce qui constituerait un obstacle dirimant à sa compétence. Or, cette raison n’est plus justifiée dès lors qu’il statue dorénavant sur les recours en garantie entre membres d’un groupement « quand bien même la répartition des prestations résulterait d’un contrat de droit privé conclu entre eux » (T. confl., 9 févr. 2015, n° C3983).
Il résulte de cette décision qu’un contrat de droit privé ne rend pas nécessairement incompétent le juge administratif. Partant de là, rien ne s’oppose à ce qu’il puisse statuer sur le recours d’un constructeur contre son propre sous-traitant voire contre son fournisseur. A défaut, l’unification du contentieux devra peut-être passer par la disparition de l’ordre administratif au profit des juridictions judiciaires.