Les succès formidables obtenus dans la course aux vaccins ont tendance à occulter les conséquences dramatiques de l’épidémie sur le tissu économique. Des conséquences qui se feront sentir pendant des décennies encore, estime Stephen S. Roach, et que les libéralités actuelles de la politique monétaire pourraient bien aggraver.
Récession à double creux
Aux Etats-Unis, les retombées économiques négatives s’observent de manière flagrante dans la multiplication des demandes de chômage début décembre, ainsi que dans la chute brutale des ventes au détail au mois de novembre. Des confinements partiels étant désormais appliqués dans près de trois quarts des Etats américains, il faut également s’attendre à un déclin de l’activité économique début 2021.
L’histoire des cycles économiques aux Etats-Unis devrait nous alerter sur un risque de récession à double creux. Huit des onze dernières récessions ont précisément suivi cette tendance. Or les marchés financiers ont principalement parié sur une reprise en forme de V. A tort, les investisseurs ont été rassurés par une interprétation excessive de l’augmentation annualisée de 33 % du PIB réel au troisième trimestre, au moment de la levée des confinements. Seulement voilà, une réouverture après un coup d’arrêt brutal ne signifie pas nécessairement une reprise économique durable, mais s’apparente davantage à une remontée à la surface après une longue apnée.
Les causes de la rechute économique toute proche n’ont rien de mystérieux. Elles sont l’écho de la première vague de Covid-19. Malgré de formidables avancées sur le front des vaccins, la deuxième vague se révèle bien pire que la première en termes de nombre d’infections, d’hospitalisations et de mortalité. Bien que les nouvelles restrictions ne soient pas aussi strictes qu’au mois d’avril, elles impactent d’ores et déjà négativement l’activité économique globale.
Prétendue mort de l’inflation
Les conséquences à long terme du Covid-19 seront probablement plus graves encore. Si la vaccination de masse permet d’entrevoir la fin de la pandémie elle-même (espérons-le d’ici à la fin 2021), elle ne nous immunisera pas contre les dégâts économiques à long terme.
De nombreux indices d’un impact prolongé du Covid-19 ont été éclipsés par la célébration d’une imminente reprise économique. Aux Etats-Unis, le chômage concerne aujourd’hui 9,8 millions de personnes supplémentaires par rapport au pic prépandémique, et les dépenses de consommation dans les services – limitées par la crainte persistante et compréhensible des interactions entre individus – n’ont regravi que 66 % de la plongée survenue pendant les confinements de mars-avril.
Dans le débat public, beaucoup semblent penser que de nouvelles stratégies politiques inventives permettront d’apporter des solutions inédites à des problèmes économiques de longue date. C’est clairement le cas de la fameuse théorie monétaire moderne (TMM), qui semble donner aux autorités budgétaires carte blanche dans le recours à la dette. Or la TMM n’est ni moderne ni même une théorie. Sa seule nouveauté réside dans un aspect beaucoup plus basique : la prétendue mort de l’inflation. Selon cette conception, tant que l’inflation reste maîtrisée, les autorités monétaires et budgétaires peuvent se permettre d’ignorer le risque de coûts d’emprunt plus élevés et travailler en tandem pour apporter leur aide à une économie réelle frappée par la pandémie.
Nouvelle dépréciation du dollar
Seulement voilà, en matière d’économie, rien n’est éternel – pas même la mort de l’inflation. Et c’est ici que les choses se compliquent particulièrement. L’inflation aux Etats-Unis n’est pas à l’abri d’une nouvelle dépréciation du dollar, qui semble de plus en plus probable, compte tenu d’une forte détérioration du déficit de la balance courante américaine, du renforcement de l’euro et du penchant de la Réserve fédérale pour un dollar faible, elle qui demeure attachée à des taux d’intérêt zéro. Les perturbations au niveau des chaînes d’approvisionnement devraient par ailleurs faire augmenter l’inflation sous-jacente. Et, bien entendu, le douloureux souvenir des erreurs politiques commises dans les années 1960 et 1970 demeurent, lorsque des politiques monétaires excessivement assouplies avaient posé les bases d’une accélération importante et durable de l’inflation. Qu’y a-t-il de si différent dans l’actuel penchant prétendument éclairé pour l’assouplissement quantitatif systématique ?
La confluence du cycle de la pandémie et du cycle des affaires – deuxième vague de Covid-19 et récession à double creux de l’économie américaine – ne laisse d’autre choix aux dirigeants politiques américains que d’approuver un nouveau programme d’aide, cette fois-ci à hauteur de 900 milliards de dollars. Peu importe, considère la TMM, si cela conduit la dette fédérale américaine à s’approcher, voire à dépasser le précédent record de 108 % du PIB, atteint en 1946, au lendemain immédiat de la Seconde Guerre mondiale.
A l’époque, le creusement de la dette avait été contrebalancé par une forte augmentation ré-inflationniste du PIB, qui avait conduit le ratio dette/PIB à retomber à 47 % en 1957, au prix d’un taux d’inflation moyen des prix à la consommation de « seulement » 6,4 % entre 1946 et 1951. Peut-être faudra-t-il accepter bientôt un tribut comparable. Mais alors que cela signifiera-t-il pour les taux d’intérêt, pour le service de la dette et pour des marchés financiers incroyablement effervescents ? Ne comptez pas sur la TMM pour répondre à cette question.